La librairie Confisquée

Prière :

Notre Dame des Pavtars et des Saints Lotissements
Priez pour nous
Délivrez nous des clôtures, des murs d’enceintes et de l’éclairage public
Protégez  nos horizons et préservez-nous des portails automatiques en PVC
Pour que l’on garde
Nos petites fleurs et nos grands arbres
Nos espaces vierges et sans herbicides.

Gardez nous des délateurs et des mauvais voisins
Evitez-nous, les chiens de garde, les Rotofils et les tondeuses à  Gazons
Parce que vous êtes infiniment miséricordieuse et que le pêché vous déplait
Sauvez-nous du Dieu des hommes Revanchard et vengeur
Avec Saint Patrick, Sainte Marie-Madeleine, Saint Vincent, Saint Donat, Sainte Thérèse d’Avila, Saint Dunstan, Sainte Rita, Saint Brandan, Saint Joseph de Cupertino, Sainte Agathe, Sainte Apolline, Sainte Wiborade, San Teofalu de Corti,
Et tout le chapitre.

Préservez nos revenus de misère pour que nous puissions continuer à choyer et les plantes sauvages et les petits oiseaux
Protégez-nous les uns des autres
Bénissez tous nos confinements et gardez-nous des virus maintenant et à l’heure de notre Mort.

Priez pour nous pauvres prêcheurs!
Amen!

 La librairie Confisquée

Une librairie de livres anciens et d’occasion au Centre-Ville d’une surface raisonnable autour de cent mètres carrés.

Dans cette librairie, vous pourriez trouver toutes sortes de séries littéraires bien reliées, des livres scientifiques anciens, un honnête petit rayon de voyages et de livres sur le sujet, un bon ensemble de livres illustrés à prix raisonnables, un rayon littéraire du vingtième siècle classé par ordre alphabétique par auteurs, un rayon de livres de philosophie et de sciences humaines, un très grand rayon de livres d’histoire et de biographies.
Sur des tables, vous trouveriez des revues satyriques et autres journaux vendus au numéro, des revues de sociétés savantes régionales et des livres sur les régions de France, des livres sur l’archéologie, la chasse, la pêche, des catalogues anciens, des almanachs, des livres de généalogie, des livres sur les jardins, les sciences naturelles, des livres curieux, des livres du XVIIIème dans leurs caractéristiques, en veau, des livres reliés en vélin, des recueils d’ana  etc…etc… ces livres que nous pouvions proposer vingt ans en arrière dans nombre de villes de province.

J’ai employé le conditionnel parce que ce type de librairie, vous ne la trouverez plus, c’est la librairie confisquée.

Cette librairie, que pourtant,  nous sommes nombre de libraires à pouvoir la proposer demain, grâce à nos stocks, à notre passion. Et bien non, vous ne la verrez plus.

La spéculation  sévit, les franchises et les franchisés ont chassé les commerces d’antiquités, les petits commerces poétiques et amusants, les petits bistrots conviviaux, tous ont été chassés des centre-ville.

Les  grandes enseignes dont les moyens de louer des grands espaces avec des loyers hors de prix, des éternelles enseignes de marchands de pompes, de faux luxe, de fringues et de chaussures de sports fabriquées par des enfants à l’autre bout du monde en sont, fort probablement, la cause. Nos centre-ville sont  à l’image de notre société: des chaussures de sport pour courir – (après quoi? Quand le grand manager t’en intime l’ordre ?) – Les banques des assurances, dont les devantures sont aseptisées, complètent le tableau et monopolisent l’espace commercial locatif.
C’est nous qui les nourrissons à notre détriment, l’ignorance et le mépris sur la profession de libraire d’ancien ou de bouquiniste et le préjugé que tout est cher dans ce type de boutique.
Le nouveau monde qui n’a de cesse de balayer le soi-disant ancien monde emportera avec lui la mémoire, l’histoire, le savoir-faire, et l’expérience des anciens, entrainant le faible appétit de Culture et la disparition des gens curieux, car la volonté de plus en plus forte s’exprime pour ringardiser tout ce qui est du passé.
Sorte de diktat de la mode.

Cher un livre de Zola relié début Vingtième pour dix Euros?
Cher un Livre sur les Indiens d’Amazonie à quinze euros ?
Chère une revue satyrique d’il y a cent ans pour cinq euros ?

Il reste de toutes petites boutiques où le libraire vend au rabais ses meilleurs livres sur E-Bay, on le voit au fond, planqué derrière son ordinateur, il reste des boutiques vitrines où le chiffre d’affaires est ailleurs…

Et nos clients ?
Ceux qui restent, on les croise trop souvent  à la Salle des Ventes. Ils préfèrent donner leur argent aux commissaires-priseurs.

Sommes-nous obligés de plier sous le joug du nouveau-riche inculte qui, grosse bagnole, petit cerveau, ne parle que Business et arnaques de toutes sortes ?
Sommes-nous obligés d’aller chercher nos livres chez des marchands de livres qui achètent au kilo, (en achetant un livre au kilo, après tri, d’ailleurs) est-ce qu’on valorise le livre?
La réponse est non.
Et les clients de ces marchands, focalisant uniquement sur le prix participent à la destruction de millions de livres, (ici on rejoint la même problématique que les produits importés de pays lointains face aux produits fabriqués en Europe). Je rencontre des clients, et amis, parfois très fiers d’avoir fait une bonne affaire…chez ces marchands de livres. C’est cet état d’esprit qui va entrainer la fermeture des très célèbres Librairies Boulinier, Gibert Jeunes et d’autres encore.) Ils feront bien les consternés non concernés le jour venu…chui pas tout seul… on connait la suite… ce sera la faute au voisin et la faute-à-pas-de-chance, feignant de ne pas comprendre le phénomène qu’ils ont collectivement engendré.

Quand va-t-on redevenir intelligents ?



Une autre menace est arrivée dans nos commerces en ligne, sur des sites « classiques » qui ressemblent à nos catalogues de jadis où le livre est mis en fiche, décrit, Auteur – Titre – Lieu d’édition – date, nombres de pages ou de feuillets, etc …
Cette menace est l’arrivée de sociétés type SAS, association Loi 1901, ou autre montage, qui récoltent des tonnes et des tonnes de livres gratuitement pour les revendre à prix cassés – (quand on paye un livre zéro euro, comment calcule-t-on la marge?) – tout est dans la logistique: énormes dépôts et employés pour la collecte le classement, le tri et la saisie.

La bonne raison de leur donner ces livres?
Ils emploient des personnes en contrat d’insertion et ils luttent soi-disant contre l’illettrisme, en les vendant (don associatif ?) et, cerise sur le cake, ils participent au recyclage du papier. En fait, leur charity-buisness-ecolo  aboutit à une destruction de millions de livres … et … il leur en reste suffisamment pour inonder le marché sur tous les sites qui leur ouvrent grand les portes, aux prix cassés de préférence pour éliminer toute concurrence. Il s’agit de Millions de titres.

Que faire devant ces monstres?
Nous qui, avec un petit catalogue de livres choisis, (en bon état, pour la plupart, décrits honnêtement et envoyés correctement en libraires indépendants), travaillons tout seul?
De plus, est-ce que l’on est sûr de la pertinence du tri de ces sociétés?
Vont-ils pilonner des livres très rares en mauvais état et ne garder que l’ultra-commercial ?

Certes, l’acheteur ne se pose pas toutes ces questions, il ne regarde que le prix.

Il est vrai que beaucoup d’entre nous et surtout parmi ceux qui débutent, de par la haute idée qu’ils se font du métier de libraire, se dirigent immédiatement dans la limite de leurs finances et de leurs compétences, vers ces beaux départements que sont le beau, le rare et cher.

Le cher n’est pas toujours beau, le rare, ainsi que le beau ne sont pas toujours chers. Le « beau rare et cher » n’est évidemment pas si courant. Cela limite les candidatures pour ces futurs libraires de « Haute- lignée ».
On ne se pose pas la question : comment fabriquer des nouveaux bibliophiles ?
La hantise de se faire traiter de Bouquiniste par ces impétrants est telle que pour eux, un livre non commercial est forcément mauvais, puisque de valeur moindre – et plus la valeur d’un livre diminue, plus il est proche de la destruction. Passés dans leurs mains ou non, parce qu’ils n’en auront pas voulus ou tout simplement rejetés, ces volumes finiront dans les bennes des sociétés décrites plus avant, et donc, quelle que soient leurs époques: vers le pilon, la poubelle, le feu.

Il faudrait assumer pour beaucoup d’entre nous, le fait d’avoir méprisé le petit livre, le livre de vulgarisation par exemple, et donc d’avoir abandonné à ces sociétés monstres, la possibilité de les commercialiser ou de les détruire, (pour une seule société de ce type, un confrère parle quand même de l’équivalent de 87000 bibliothèques parties à la destruction….chaque année *).

Un jour, peut être seront nous obligés de réimprimer pour quelques amateurs des textes totalement disparus de la circulation … écologique?

Je pense à ce moment à tous les livres populaires, de colportage, tous les petits journaux, devenus si rares aujourd’hui qui n’ont pas survécus aux déménagements, aux révolutions, aux batailles, aux guerres, aux crispations idéologiques et au puritanisme, petites brochures monarchistes ou anarchistes, jansénistes ou libertines, protestantes ou anticléricales, celles qui restent encore en circulation finiront elles au pilon?  
J’y pense, car un nouveau tri redoutable est en train d’apparaître, livres « pas commerciaux », « trop pointus », incompréhensibles, trop denses, trop longs pour nos sociétés aussi digestives que pressées, et donc livres voués à la destruction .parce que, tombés aux mains d’ilotes, de béotiens ou d’analphabètes, ou enfin dans celles de « marchands de livres » et non dans celles de bouquinistes-libraires.

Je rappelle donc que notre métier a ses fondations dans les critères de choix que sont la qualité d’un texte, celle de l’éditeur de l’imprimeur, l’importance de la période historique dans laquelle un livre peut apparaitre, de son « écrin » (la reliure, le brochage, l’illustration, et j’en oublie), autant de paramètres qui instruisent nos jugements pour présenter, sous un angle particulier, telle ou telle production de l’esprit, la valoriser et la vendre quelle que soit son prix.

Un incroyable autodafé sans feu est en train de se produire, silencieux, invisible.

 *Cf : L’article du Libraire Jacques Desse qui circule sur le net à propos de la Société « Recyclivre » et celui plus récent du nouvel Observateur ….
RecycLivre : « Si nous quittons Amazon, ils gagneront encore plus d’argent » (nouvelobs.com)

www.facebook.com/jacques.desse/posts/1081399772225397

En cette fin d’année de souffrance 2020 liée à la pandémie que vous savez et durant laquelle comme tout le monde, j’ai tenté de survivre, je continue de penser que le futur manque terriblement d’avenir … à 2021

Nécrologie :
Georges Steiner est mort le 3, Jean Delumeau le 13, Michel Ragon le 14 février 2020.
Sans les connaitre, ce sont leurs pensées qui disparaissent et, ce sont nos amis,
Restent leurs écrits.
Les livres ont besoin de nous, disait Georges Steiner dans les « Logocrates », et nous nous avions besoins d’eux pour qu’ils nous éclairent et puissent formuler et éclaircir ce que nous pensons, non pour qu’ils pensent à notre place, mais pour les exprimer bien mieux que nous, grâce à leurs études, leur érudition, leur expérience, leur capacité mnémonique, cela va sans dire, mais il nous le faut nous le rappeler sans cesse dans un monde qui semble vouloir se passer de ces esprits éclairés.

Je finis ces articles neuf mois plus tard au moment ou Alain Rey, prince des lexicologues et lexicographes vient de mourir, on entend dans un bel hommage qui lui est consacré à la Radio : « il avait réussi à mettre le mot de Généraliste au-dessus de celui d’Expert »  tellement était immense son érudition… (Je pense aussi à Joseph Altairac, grand érudit de la science-fiction, qui vient aussi de mourir et dont la silhouette était familière parmi les bouquinistes, libraires et  autres puciers de Vanves-Saint-Ouen , Brassens).

Cette année de confinement catastrophique annonce des heures sombres et inédites, et sa fin ne nous exonère pas pour autant des tristes conséquences que la pandémie va provoquer, un monde d’érudits que ne l’on refera plus, part en poussière, c’est évidemment deux siècles d’un fait intellectuel contractuel qui s’était installé, la mémoire s’est transférée dans les nuages numériques, on pourra mettre des grosses étiquettes sur des tas d’objets, livres, théories: Devenu(e)s  inutiles.

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« Ce qui est moins gérable et plus angoissant, c’est de comprendre qu’un objet «intelligent« et «communiquant», c’est aussi un objet qui peut obéir à son constructeur plus qu’à son propriétaire »